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Franchises, ALD, AME : restreindre l’accès à la santé ne redresse pas les comptes publics, cela fragilise la société tout entière

10 novembre 2025

Tribune interassociative publié dans Ouest France le 10 novembre 2025

Nous assistons à une offensive sans précédent du gouvernement contre l’accès aux soins des personnes malades et précaires. Le doublement des franchises médicales, la restriction de l’aide médicale de l’État (AME) et la remise en cause du régime des affections longue durée (ALD) s’inscrivent dans une même logique : faire payer davantage les malades et exclure les plus vulnérables. Ces mesures marquent une dérive inquiétante : qu’elles soient françaises ou étrangères, avec ou sans papiers, ce sont les personnes déjà victimes d’un système de santé en crise qui s’en retrouvent aujourd’hui désignées comme boucs émissaires.

Restreindre l’accès à la santé ne redresse pas les finances publiques : cela affaiblit la société dans son ensemble.

Franchises médicales et ALD : une pénalisation injuste des malades

Le doublement des franchises médicales, que le gouvernement prévoit d’adopter par décret, ferait payer davantage les personnes malades. Chaque boîte de médicaments, acte médical ou transport sanitaire entraîne déjà une franchise. Leur hausse frapperait de plein fouet les personnes atteintes de maladies chroniques, les personnes âgées ou en situation de handicap.

Dans le même temps, la révision du régime des affections de longue durée (ALD), en discussion dans le cadre du PLFSS, suscite de vives inquiétudes. Aujourd’hui, les personnes reconnues en ALD sont dispensées du ticket modérateur uniquement pour les soins liés à cette affection, ce qui est remis en cause par des projets de décrets concernant certains médicaments et les cures thermales, et restent redevables des franchises, forfaits hospitaliers, dépassements d’honoraires ainsi que de l’ensemble des frais non recensés par les comptes publics. Ces patients, souvent âgés ou en précarité, sont déjà parmi celles ceux qui accusent le plus de reste à charge. Ce dispositif protecteur constitue un rempart essentiel contre les inégalités sociales de santé.

Ces restrictions creuseraient encore ces inégalités de santé, menaceraient l’accès aux traitements et entraîneraient des retards de prise en charge lourds de conséquences. Les économies espérées sont illusoires : en réalité, ces mesures renchérissent les coûts pour l’ensemble du système de santé.

Décret AME : des milliers de personnes privées d’accès aux soins

Le gouvernement a de nouveau saisi la CNAM d’un projet de décret visant l’Aide médicale de l’État (AME). Reprenant les dispositions déjà présentées par le précédent gouvernement début septembre, ce texte prévoit de limiter les justificatifs d’identité acceptés aux seuls documents avec photo.

Une telle mesure exclurait de fait des milliers des personnes pourtant éligibles, parmi lesquelles nombre de personnes exilées ayant fui sans papiers, les ayant perdus, volés ou confisqués, ou vivant dans des conditions où il est impossible de les conserver. Les démarches consulaires pour les renouveler peuvent prendre jusqu’à 18 mois – quand elles ne sont pas tout simplement impossibles.

Selon les données de Médecins du Monde, plus d’une personne sur trois accompagnée par l’association est dans l’incapacité de produire un document d’identité avec photo. Cette réalité de terrain contredit frontalement l’idée qu’il s’agirait d’une mesure « technique » : elle exclurait massivement des personnes déjà fragilisées.

L’AME soufre déjà d’un non-recours massif : près d’une personne sur deux qui y aurait droit n’a pas ses droits ouverts (enquête Premiers Pas, IRDES). Restreindre encore l’accès reviendrait à aggraver ce non-recours et à priver de soins des personnes déjà vulnérables, malades ou en attente de régularisation, au nom d’une fraude quasi inexistante (0,026% des dossiers selon la CNAM). Un tel décret serait un non-sens de santé publique et une aberration économique, dans un système déjà à bout de souffle.

Nous refusons que l’AME soit instrumentalisée à des fins politiques, pour opposer les personnes françaises et étrangères, avec ou sans papiers, malades ou les bien portantes. Soigner tout le monde, c’est protéger tout le monde.

Un choix de société

Nous interpellons solennellement le gouvernement. En ce début de mandat, vous avez l’occasion d’envoyer un signal fort : protéger plutôt qu’exclure,  soigner plutôt que stigmatiser.

Nous demandons expressément :

–        de renoncer au doublement des franchises médicales ;

–        de mettre un terme aux projets de restriction du régime ALD ;

–        d’abandonner toute réforme restrictive de l’aide médicale de l’État ;

–        de réaffirmer que la santé est un droit fondamental, garanti pour toutes et tous, sans discrimination.

Il ne s’agit pas seulement de défendre les personnes les plus vulnérables : il s’agit de préserver un système de santé qui, depuis 80 ans, constitue l’un des socles les plus précieux de notre République : un système solidaire, universel et protecteur.

Nous ne pouvons pas accepter que la France recule sur ce droit essentiel.

 

Liste des signataires :

Dr Samah Chaaban, présidente de la Case de santé

Cathy Claverie, présidente de Dom’Asile

Jean-François Corty, président de Médecins du Monde

Dr Isabelle Defourny, présidente de Médecins Sans Frontières

Didier Duriez, président du Secours Catholique – Caritas France

Sarah Durocher, présidente du Mouvement pour le Planning familial

Gwenaëlle Ferré, Mélanie Lagrange, Camille Picard, administratrices membres de la collégiale du Réseau des Centres de Santé Communautaire*

Daniel Goldberg, président de l’Union nationale interfédérale des œuvres et organismes privés sanitaires et sociaux

Monique Guyot-Berni, présidente de La Cimade

Dr Martine Lalande, membre du Collectif des Médecins généralistes pour l’accès aux soins (CoMeGAS)

Dr Hélène Leroy, directrice médicale du Réseau Louis Guilloux

Sarah Mc Grath, directrice générale de Women for Women France

Pascal Mélin, président de la Fédération SOS hépatites & maladies du foie

Bruno Morel, président d’Emmaüs France

Gérard Raymond, Président de France Assos Santé

Vanina Rochiccioli, co-présidente du Gisti

Delphine Rouilleault, présidente du collectif Alerte

Christine Rouzioux, présidente d’Arcat et Checkpoint

Camille Spire, présidente intérimaire du TRT5-CHV

Camille Spire, présidente de AIDES

Nathalie Tehio, présidente de la Ligue des droits de l’Homme

Florence Thune, directrice générale de Sidaction

Arnaud Veïsse, directeur général du Comede

L’Observatoire du droit à la santé des étranger.es (ODSE)**

*Le Réseau des Centres de Santé Communautaire est composé de dix centres adhérents :  CCSBE – La Place Santé, La Case de Santé, Le Village 2 Santé, Le Château en Santé, Santé Commune, Human Santé, Stétho’Scop, Centre de santé communautaire du Blosne, Centre de santé communautaire et planétaire Le Jardin, MaRePoSa

** L’Observatoire du droit à la santé des étrangers (ODSE) est composé de : Act Up Paris, Association des familles victimes du saturnisme (AFVS), AIDES, Arcat, Case de Santé, Centre Primo Lévi, Cimade, Comede, CoMeGAS, Créteil-Solidarité, Dom’Asile. Droits d’Urgence, Fédération des Tunisiens pour une citoyenneté des deux rives (FTCR), Groupe d’information et de soutien des immigrés (Gisti), Ligue des droits de l’Homme, Médecins du Monde, Médecins sans frontières, Migrations Santé Alsace, Mouvement français pour le Planning Familial, Mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples (MRAP), Réseau Louis Guilloux, Sidaction, Sida info service, Réseau Solipam, Solidarité Sida, Fédération SOS hépatites & maladies du foie

 

Auteur: Service communication

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