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Entre la loi anti-terroriste d’octobre 2017, la loi asile et immigration adoptée en août 2018 et les circulaires de la Place Beauvau, la situation des personnes étrangères détenues ainsi que les conditions d’intervention des bénévoles de La Cimade se sont fortement dégradées.
Depuis 1944, La Cimade intervient en détention et en 1992 elle signe sa première convention avec l’administration pénitentiaire. 130 bénévoles sont présent·e·s dans 74 établissements pénitentiaires : aussi bien dans les maisons d’arrêt (pour les personnes condamnées à de courtes peines ou qui sont en attente de jugement), que dans les centres de détention et dans les maisons centrales où sont incarcérées les personnes purgeant de longues peines.
Moins connue et médiatisée que les centres de rétention administrative, la situation des personnes étrangères dans les prisons françaises constitue, pourtant, un autre pan de cette mise à l’écart des indésirables, exclu·e·s parmi les exclu·e·s. Partout en France, La Cimade écoute, conseille, oriente des personnes étrangères dont l’incarcération s’allie à des situations juridiques souvent inextricables.
Marc Duranton, responsable prison de La Cimade souligne que « pour les bénévoles, il est de plus en plus difficile d’intervenir en détention. Les contraintes se durcissent, l’administration ne répond plus à nos sollicitations et La Cimade est parfois mal vue sur le terrain. » Ce constat a des répercutions sur le travail des bénévoles.
Anne, bénévole en Normandie, dans les centres pénitentiaires d’Argentan et de Condé-sur-Sarthe, s’indigne de l’évolution des relations avec les préfectures : « Aujourd’hui tout est plus compliqué. Par le passé, on pouvait dialoguer ou rencontrer les responsables de préfectures, alors que maintenant tout se fait par courrier électronique. Et bien souvent on n’a pas de réponse. » Elle ajoute que les équipes des préfectures sont obsédées par une seule chose : « faire du chiffre ». « Et quand on les croise dans une commission d’expulsion (Comex) l’ambiance est glaciale. »
En prison, La Cimade rencontre les personnes qui le souhaitent, en entretien confidentiel, pour répondre à leurs questions sur le droit au séjour, pour les aider à rédiger diverses requêtes auprès des tribunaux, des courriers et demandes de titres de séjour en préfecture ou des demandes d’asile. Il est toujours simple d’affirmer que les personnes étrangères ont des droits, mais lorsqu’on entre en détention, la réalité est toute autre. Les droits des personnes détenues étrangères sont chaque jour moins effectifs.
En Normandie, Anne précise que « pour les personnes détenues qui parlent et écrivent en français et qui ont une certaine autonomie dans leur prise en charge, une conscience de la nécessité d’anticiper les démarches, on peut agir et les aider. Parfois, il nous arrive même d’échanger des courriers via le vaguemestre et sans voir les personnes, faire avancer le dossier. Il existe encore des petits angles d’attaques pour se battre et essayer d’obtenir quelque chose. Mais pour les autres, c’est une autre affaire… »
En effet, comment écrire sa demande de rencontre avec La Cimade ou rédiger un recours contre une mesure d’expulsion quand on ne sait ni lire ni écrire en français alors que toutes les démarches doivent être entreprises en français et par écrit ? Comment avoir des informations de la part de préfectures sur sa situation administrative quand on n’a pas accès au téléphone ou à internet ? Comment envoyer un recours dans un délai de 48 heures le week-end quand on n’a pas accès à un fax ?
Jacques intervient à la maison d’arrêt des Baumettes à Marseille depuis cinq ans. « La principale difficulté de notre action réside dans l’accès aux détenu·e·s. La prison a mis en place un système d’autorisation de visite très contraignant pour La Cimade. Les personnes sont orientées par les conseillers ou conseillères pénitentiaires d’insertion et de probation (CPIP) du quartier des arrivées, par courrier ou par nos partenaires (aumônier·e, avocat·e, assistant·e sociale ou médecin). Mais parfois on ne parvient pas à les voir car il faut attendre 8 à 15 jours l’autorisation et elles peuvent être transférées dans l’intervalle ou alors ne pas avoir l’information de notre venue. Et si la personne nous écrit directement, leur lettre peut mettre 15 jours à nous parvenir. »
L’accès aux documents pour aider les personnes détenues est la deuxième difficulté majeure pointée par Jacques. « La Cimade ne peut pas demander les pièces au greffe. Obligation de quitter le territoire (OQTF), interdiction du territoire français (ITF), date de sortie, remise de peine, on travaille à l’aveugle sans aucune information. Parfois les CPIP ou les points d’accès aux droits (PAD) nous aident à récupérer les pièces et on apprend qu’une personne a reçu une lettre préalable d’information avant la notification d’une OQTF à la sortie. »
En théorie la période d’incarcération doit servir aux personnes détenues pour préparer leur sortie. Pour les personnes étrangères, c’est une mission impossible. « La prison est une parenthèse dans la vie des personnes, tant qu’elle est sous écrou, on ne fera rien » réplique un responsable du service droit au séjour de la préfecture des Bouches-du-Rhône à Jacques. Ce qui donne lieu à des situations inextricables. « Une femme devait suivre un protocole à sa sortie pour sa prise en charge médicale, son CPIP avait tout préparé. La Cimade parvient à l’aider pour l’obtention d’un permis de sortir afin qu’elle puisse renouveler son titre de séjour car le protocole engagé est soumis au séjour régulier. Mais arrivée au guichet de la préfecture, l’agent affirme qu’il ne fera rien tant qu’elle est sous écrou. Toutes les démarches entreprises tombent à l’eau… »
En revanche, pour ce qui est de l’organisation des expulsions ou des transferts dans les centres de rétention administrative, « le service éloignement est bien rodé » soupire Jacques. « Pour aller dans le sens de la répression, tout roule, mais quand on parle de réinsertion, alors là il n’y a plus personne. ». Certaines ont même des postes dédiés à la mise en œuvre de l’éloignement des personnes étrangères incarcérées. Sans compter les personnes qui font la navette entre le CRA de Marseille et les Baumettes, de plus en plus nombreux et nombreuses. « Un jeune pakistanais arrivé en France à l’âge de 13 ans refuse systématiquement son expulsion, il retourne en prison, puis au CRA, puis en prison… c’est un cycle infernal mis en œuvre par la préfecture pour briser les gens. »
« La préfecture de l’Orne, ajoute Anne, est informée des commissions d’application des peines et envoie un courrier aux détenues pour les informer qu’ils vont recevoir une OQTF ou que leur titre de séjour va leur être retiré. L’autre jour, c’était le cas par exemple d’un père de trois enfants, présent en France depuis 20 ans et condamné pour un petit délit… Ils opposent systématiquement la menace à l’ordre public, quel que soit le casier de la personne. »
Les démarches entreprises par les équipes de La Cimade en prison aboutissent rarement. « L’arme du droit devient de plus en plus le parent pauvre de la prison. » Le contexte législatif et les instructions données par le pouvoir exécutifs n’y sont pas pour rien. Marc Duranton rappelle que « la directive de Gérard Collomb du 16 octobre 2017 intime aux préfets et aux préfètes à expulser toutes les personnes détenues sans titre de séjour. »
Christophe Castaner ne dit pas autre chose dans sa circulaire du 31 décembre 2018 prise en application de la loi asile et immigration. Dès lors, les préfets et les préfètes maintiennent une pression constante sur les établissements pénitentiaires pour tenter d’atteindre leurs objectifs d’expulsion. « Les greffes et les SPIP sont dans leur ligne de mire, des protocoles sont mis en place pour accélérer les transferts en centre de rétention, les services des préfectures demandent la transmission d’informations aux services pénitentiaires, etc. Mis en perspective avec les objectifs de ‘réinsertion’ dévolus à l’exécution des peines, tout cela interroge, en plus de compliquer énormément les relations au quotidien. »
Intervenir dans un milieu carcéral n’est pas simple. Les contraintes sont très fortes et l’ambiance pas toujours sereine. « Ponctuellement, certain·e·s surveillant·e·s ont des discours très décomplexés sur les personnes étrangères. Mais d’autres sont bienveillant·e·s » ajoute Anne. Mais heureusement, la parole des détenu·e·s peut être source de réconfort dans ce milieu hostile. Après l’avoir rencontrée, une personne détenue lui a dit : « Je vais dire à mes copains que tous les Français ne sont pas racistes ! Vous, vous vous êtes levée ce matin pour venir me voir. »
> Pour aller plus loin :
Les actions de La Cimade en prison
Les rapports publiés par La Cimade et ses partenaires sur la thématique :
Étrangers en prison. À l’ombre du droit. Contestation des obligations de quitter le territoire français notifiées en prison. Vos droits en prison.
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Photographie : Cellule du quartier d’isolement de la prison Jacques-Cartier de Rennes (France), à travers le judas, avril 2013. [CC] Édouard Hue
Auteur: Service communication
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