L’Etat français fabrique des sans-papiers
La procédure de régularisation d’une personne se trouvant en situation irrégulière en France se fait par l’intermédiaire d’une demande de délivrance ou de renouvellement d’un titre de séjour auprès de la préfecture. La demande de régularisation des personnes sans-papiers est une démarche de plus en plus complexe et risquée car les critères d’obtention sont à la fois multiples et très restrictifs, parfois même absurdes, sans compter qu’ils sont régulièrement appliqués de manière arbitraire, sans tenir compte de la situation individuelle des personnes.
Obtenir un titre de séjour devient alors un véritable parcours du combattant pour les personnes sans-papiers, les privant ainsi de la possibilité de construire leur vie en France, de s’insérer, d’intégrer une formation, de rejoindre le marché du travail et de trouver un logement par exemple.
La régularisation et l’expulsion : deux faces d’une même politique inhumaine
La régularisation et l’expulsion sont généralement pensées séparément et non comme faisant partie d’un même processus, d’une même politique qui vise à dissuader et réprimer les migrations. Pourtant, dans les faits, et de plus en plus, des personnes en situation régulière sont placées dans l’irrégularité administrative (se voyant refuser le renouvellement ou retirer leur titre de séjour) et un nombre croissant de demandes de titres de séjour aboutissent à une mesure d’éloignement (par exemple la délivrance d’une obligation de quitter le territoire français (OQTF) et d’une interdiction de retour sur le territoire français (IRTF)), alors qu’elle empêche par la suite toute perspective de régularisation.
Cette « irrégularisation » fait partie intégrante de la fabrique de sans-papiers que La Cimade dénonce. Tout est fait pour que les personnes étrangères soient dans l’incapacité de voir leur situation se faire régulariser sur le plan administratif. Afin de pouvoir s’insérer dans la société, l’obtention d’un titre de séjour est essentielle. Or, l’un des prérequis de l’administration pour la délivrance d’un titre de séjour concerne l’intégration. Les personnes étrangères sans-papiers sont donc soumises à un cercle vicieux qui entretient ce cycle d’irrégularisation.
L’expulsion est envisagée dès la demande de titre de séjour, comme en témoigne le contenu de certains formulaires d’admission au séjour qui demande à la personne qui demande un titre de séjour si elle consent à son éloignement en cas de refus de titre de séjour.
Une politique qui vise à précariser, marginaliser et bannir les personnes étrangères
Bannir, selon le dictionnaire, est le fait d’éloigner une personne d’une activité, d’un lieu, d’une société et plus grave encore, de la chasser de son pays. Ce bannissement n’est pas qu’une simple sanction administrative ; il revêt une dimension plus large et symbolique. Il entraîne une mise au ban de la société, consécutive à la privation des droits les plus élémentaires : travailler, s’unir, se soigner ou circuler par exemple.
Si les personnes se maintiennent en France, l’Etat s’attèle à les ostraciser par tous moyens. Elles sont condamnées à ne plus exister administrativement, sont empêchées d’entreprendre toute démarche de régularisation pour obtenir des papiers et sont plongées dans des zones de non-droit. Elles sont privées d’existence dans l’espace public puisque leur présence est soumise à des contrôles incessants en vue de leur expulsion du territoire.
Nous sommes donc face à une politique de non-accueil qui vise à dissuader les migrations, voire à les réprimer dès lors qu’elles sont criminalisées. Cette criminalisation engendre une déshumanisation des personnes sous OQTF, comme en attestent les nombreuses références dans les sphères médiatiques et politiques aux « OQTF » et non aux personnes qui se voient délivrer cette mesure d’éloignement. Les personnes s’étant vu notifiées une OQTF sont ainsi considérées par une grande partie de l’opinion publique, du fait de ces amalgames infondés, comme des personnes délinquantes.
Or, contrairement aux amalgames véhiculés entre immigration et délinquance, les personnes en situation administrative précaire ne sont pas par définition des personnes ayant commis des délits. Ce sont des personnes qui n’ont pas les documents nécessaires, sur le plan administratif, autorisant un séjour en France. Les conséquences de cette absence de papiers s’apparentent pourtant aux effets de politiques pénales sur les personnes ayant commis une infraction puisqu’elles sont soumises à des mesures de contrôle et de contrainte. Elles subissent donc un traitement réservé aux personnes délinquantes pour le simple fait de ne pas avoir de papiers autorisant un séjour en France.
Revendications et propositions de La Cimade
La Cimade appelle à une refonte profonde des politiques migratoires pour tendre vers la liberté de circulation et d’installation dans une dynamique d’égalité des droits entre toutes et tous, indépendamment du statut ou de la nationalité. Cette refonte constitue le préalable à la construction d’une société pleinement inclusive et apaisée.
Dans l’immédiat et sans attendre une telle refonte, La Cimade demande de :
- Supprimer toute mesure de bannissement faisant obstacle à une demande de régularisation, comme c’est le cas des obligations de quitter le territoire français (OQTF) et des interdictions de retour sur le territoire français (IRTF).
- Régulariser de façon large et durable toutes les personnes étrangères présentes en France.
- Construire l’égalité des droits pour toutes et tous en matière d’accès au travail et à la protection sociale, indépendamment du statut administratif ou de la nationalité.
Pourquoi promouvoir la régularisation large et durable des personnes sans-papiers ?
Nous avons imaginé une circulaire pour promouvoir une autre politique et d’autres pratiques qui tendraient vers la liberté de circulation et qui installeraient une égalité de droits entre toutes et tous.
Diffusons massivement cette circulaire pour que nos décideurs et décideuses politiques puissent s’en inspirer ! Comment ? Télécharger la circulaire et envoyez la par email ou courrier postal à votre préfecture.
Régulariser de manière large et durable permet de :
- Construire une société plus apaisée et inclusive.
La législation et les pratiques administratives actuelles fabriquent activement des personnes sans-papiers, et auto-produisent la stigmatisation et l’attention politique. L’immigration est dès lors perçue comme un problème dans l’imaginaire collectif. A contrario, si une logique d’accueil était adoptée et si toutes les personnes sans-papiers étaient régularisées, ces “problèmes auto-produits” disparaitraient en très grande partie. Cela concourrait à banaliser la présence des personnes étrangères en France et donc à faire reculer la peur des personnes migrantes, la xénophobie et le racisme ; mais aussi, en conséquence, à faire cesser des logiques de “bouc-émissaire” qui font peser sur les migrations nombre de problèmes sociétaux dont la résolution passe en réalité par des politiques aux objets bien éloignés des politiques migratoires.
- Mettre en conformité les pratiques de la France avec les valeurs qu’elle promeut et ses engagements au regard du droit international.
Le droit international impose à la France de respecter des principes fondamentaux (droit au respect de la vie privée et familiale, intérêt supérieur de l’enfant, lutte contre des situations de maltraitance et d’exploitation sexuelle, etc.). Une régularisation large et durable permet de contribuer au respect des droits fondamentaux de toutes et tous, de mieux lutter contre les discriminations et protéger les personnes en situation de vulnérabilité.
Exemple : les femmes migrantes subissent des discriminations croisées, liées à la nationalité, au genre, à leur statut administratif, qui compliquent les conditions de leur installation en France. Selon l’Organisation internationale du travail et le Défenseur des droits, un tiers des femmes actives a déjà été victime de discriminations au travail et le genre est le premier critère de discrimination. Le taux d’emploi est plus faible pour les femmes, en particulier pour les femmes immigrées. Les femmes migrantes sont souvent cantonnées à certains secteurs d’activité et leurs conditions de travail les placent souvent dans des situations très précaires : temps partiel, employeurs multiples, travail non déclaré, exploitation importante, etc. En outre, les emplois occupés par les femmes sont généralement moins rémunérateurs. La régularisation large et durable permettrait de lutter contre ces discriminations et ces inégalités de genre.
- Employer une grande partie des dépenses affectées à la politique migratoire pour d’autres domaines des politiques publiques, en particulier celles dédiées à l’inclusion et à la lutte contre toutes les formes de précarité.
Plus que jamais notre mobilisation se poursuit
Continuons à faire parler de ces « invisibles » et mobilisons-nous pour la régularisation large et durable de toutes les personnes sans-papiers présentes en France en signant notre pétition
Nos campagnes
Déterminée à combattre amalgames et préjugés, La Cimade poursuit son combat pour une autre perception des personnes étrangères et pour des politiques migratoires fondées sur l’accueil et la solidarité avec des campagnes de sensibilisation à destination du grand public :
- 2020 : La Cimade a lancé le hashtag #LibertéÉgalitéRégularisez avec une vidéo à laquelle ont participé nos bénévoles et salarié·e·s
- 2021 : à travers 10 illustrations, nous avons raconté les étapes qui mènent les personnes étrangères à se retrouver ou à rester sans-papiers.
- 2021 : découvrez en vidéo les difficultés rencontrées au quotidien par les personnes sans-papiers comme par exemple bénéficier d’un congé maternité, avoir une retraite, disposer de congés payés, ouvrir un compte en banque ou poursuivre des études.
- 2022 : en 3 films, nous imaginons comme la vie serait belle pour les personnes sans-papiers si elles étaient régularisées
- 2025 : autour du mot d’ordre « avoir des papiers, c’est pas donné à tout le monde », La Cimade dénonce l’absurdité et la violence des politiques migratoires actuelles et leurs conséquences dramatiques sur la vie des personnes concernées.
Ressources utiles
- Découvrez nos 5 propositions pour la régularisation large et durable des personnes sans-papiers
- Téléchargez le petit guide « Refuser la fabrique des sans-papiers »
