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Le Conseil d’État annule le décret du 28 décembre 2019 qui depuis le 1er janvier privait des milliers de personnes considérées en fuite Dublin de leur allocation et parfois de leur hébergement.
Environ 100 000 personnes ont fait l’objet d’une procédure Dublin entre 2016 et 2018. Cette procédure implique que la France saisisse un autre État européen qui est considéré comme responsable de l’examen de la demande d’asile puis prenne une décision de transfert vers ce pays. La préfecture dispose de six mois pour effectuer ce transfert (voir Dubliné·e, vous avez dit Dubliné·e). Ce délai peut être prolongé d’un an en cas de fuite. La jurisprudence du Conseil d’État a défini cette notion comme une « soustraction intentionnelle et systématique à l’exécution de la décision ». Avec l’évolution de la jurisprudence et le plus grand nombre de procédures, cette prolongation est de plus en plus fréquente (7 500 en 2017, sans doute 10 000 en 2018).
La fuite constatée a pour première conséquence, un allongement d’un an du délai de transfert. Elle en a une deuxième, la suspension immédiate des conditions d’accueil. En effet, à chaque fois qu’une demande de prolongation pour fuite est effectuée par une préfecture, elle signale ce fait à l’OFII via le traitement DNA.
Jusqu’au 1er janvier 2018, L’OFII mettait en œuvre les dispositions de l’article L. 744-8 du CESEDA qui prévoyaient que le bénéfice des conditions matérielles d’accueil (allocation pour demandeur d’asile et hébergement dans un HUDA) est suspendu. Cette suspension était théoriquement mis en œuvre après que la personne a formulé des observations et en tenant compte de sa vulnérabilité mais en pratique, elle était immédiate. Si la personne était retrouvée ou se présentait de nouveau aux autorités, l’OFII devait statuer, sur demande, sur le rétablissement de ces conditions. En 2017, selon les statistiques de l’OFII, 2 953 personnes ont fait l’objet d’une telle mesure. Ce qui est relativement peu par rapport au nombre officiel de fuites car l’OFII n’a souvent pas pris la peine de notifier une décision, se contentant d’interrompre le bénéfice.
Soit parce que la décision de transfert a été annulée, soit parce que le délai de transfert, éventuellement prolongé pour fuite, est arrivé à son terme, le règlement Dublin prévoit que la France devienne responsable de l’examen de la demande d’asile. Les personnes doivent alors se rendre de nouveau auprès du préfet compétent (normalement le préfet du département, dans les faits, le GUDA) pour se voir délivrer une attestation permettant de saisir l’OFPRA (en procédure normale ou accélérée, selon les cas) par le préfet et demander à l’OFII le rétablissement des conditions d’accueil.
En 2018, 23 650 personnes adultes ont vu leur demande requalifiée, dont 8 810 avaient été enregistrées dans l’année. Cela représente un quart des demandes introduites à l’OFPRA et une bonne part des demandes afghanes (première nationalité de demande en 2018) .
Jusqu’au 1er semestre 2018, L’OFII procédait au rétablissement des conditions d’accueil, sauf s’il pouvait le refuser pour d’autres raisons (si la demande initiale avait été introduite plus de 120 jours après l’arrivée du demandeur ou en cas de tentative de fraude -présentation de demandes sous des identités différentes pour percevoir plusieurs fois l’allocation). Cependant, même si la personne n’avait pas pris la fuite, un « bug » informatique empêchait le versement de l’allocation pendant plusieurs mois. Il fallait souvent saisir le juge administratif pour en obtenir le versement.
A compter du deuxième semestre 2018, l’OFII a changé sa procédure. Toute personne dont la demande est requalifiée et dont les conditions d’accueil ont été suspendues pendant la procédure Dublin, doit demander le rétablissement par écrit. Et selon une « instruction » non publique du ministère de l’intérieur ou de l’OFII, seules les personnes vulnérables seraient légitimes à obtenir ce rétablissement. Les personnes se voient notifier des refus des conditions d’accueil pour fraude ou pour non présentation aux autorités.
Cette instruction a été dévastatrice puisqu’en 2018, 15 417 suspensions des conditions d’accueil sont comptabilisées dont plus de 12 000 dans les derniers mois de l’année. Une partie d’entre elles sont encore dans la procédure Dublin mais la majeure partie est constituée des « requalifiés ».
Dans de nombreux cas, les juges des référés des tribunaux administratifs ont enjoint à l’OFII de rétablir les conditions d’accueil, parfois sous astreinte, faute d’exécution. La Cimade a contesté l’instruction devant le Conseil d’État (affaire en cours).
La loi du 10 septembre 2018 est allée plus loin. Selon le nouvel article L. 744-7 du CESEDA, la personne qui ne se présente pas à une convocation des autorités ou qui ne répond pas aux demandes d’informations, se voit retirer ou refuser de plein droit les conditions matérielles d’accueil si elle en a été informée préalablement. Non seulement elle ne peut plus présenter des observations préalables mais elle doit saisir l’OFII d’un recours administratif obligatoire avant de saisir les juridictions administratives. Depuis le 1er janvier 2019, des milliers de décisions de refus immédiat des conditions d’accueil ont alors été notifiées aux personnes ex Dublinées. Selon le ministère de l’intérieur 920 refus ont été opposés à des personnes en fuite et 707 à des requalifiés lors du premier semestre 2019 mais ce chiffre est nettement sous-évalué.
Des personnes qui ont fait l’objet de suspensions des conditions d’accueil (donc avant le 1er janvier 2019), ont saisi le juge des référés du Conseil d’Etat en appel. La question étant aux yeux des juges, très délicate, il a été décidé de tenir une audience de chambres réunies consacrée à cette question. La Cimade, le Gisti, la LDH, la Fasti et l’ADDE sont intervenus à l’appui des personnes.
Dans ses décisions du 17 avril 2019, les 2e et 7e chambres réunies ont donné une grille de lecture :
Les dispositions de l’article l. 744-7 du CESEDA ne sont applicables que si l’information a été faite au moment de l’offre de prise en charge. Pour toute personnes qui a eu une offre de prise en charge avant le 1er janvier 2019 (et même après, puisque l’information initiale n’a pas été modifiée), ce sont les dispositions de l’article L 744-8 du CESEDA antérieures au premier janvier qui s’appliquent. L’OFII doit reprendre le processus avec les anciennes dispositions (lettre d’intention de suspension, observations, décision) pour des milliers de cas. Dans l’attente, les personnes doivent continuer de percevoir l’allocation et être hébergées,le cas échéant.
Le Conseil d’État poursuit en définissant les critères de rétablissement : l’OFII n’a pas d’obligation de réexaminer d’office la situation et le fait que la France soit devenue responsable de l’examen de la demande d’asile n’est pas en soi un motif de rétablissement. Le demandeur doit le demander et l’OFII doit « apprécier la situation particulière du demandeur à la date de la demande de rétablissement au regard notamment de sa vulnérabilité, de ses besoins en matière d’accueil ainsi que, le cas échéant, des raisons pour lesquelles il n’a pas respecté les obligations auxquelles il avait consenti au moment de l’acceptation initiale des conditions matérielles d’accueil. »
Dernier élément, le juge des référés ne peut être saisi qu’en cas d’atteinte manifeste (en cas de vulnérabilité) et ne peut pas rétablir pour le passé mais seulement pour l’avenir.
Sans doute effrayé par l’ampleur du phénomène, le Conseil d’État a donc restreint la possibilité de saisir rapidement un juge pour obtenir des conditions d’accueil alors même que le droit européen n’est pas respecté par la réglementation puisque la loi depuis le 12 septembre a supprimé le droit de demander le rétablissement.
En dépit de cette grille, le juge des référés a rejeté le 26 avril sans tenir audience l’appel d’une personne qui a fait l’objet d’une décision de retrait immédiat après avoir été déclarée en fuite. En revanche, le 9 juillet le Conseil d’État a enjoint l’OFII a rétablir les conditions d’accueil à une personne qui n’avait pas pris la fuite et qui était malade et à une autre qui ne présentait pas de vulnérabilité.
Le Conseil d’État était également saisi de la question des Dubliné·e·s de retour en France après avoir exécuté une décision de transfert et qui sollicitent de nouveau l’asile. Il considère que l’OFII ne peut pas prendre une décision de refus pour fraude ou parce que cette demande serait une demande de réexamen. Or ce sont les motifs opposés aux personnes. Dans une ordonnance du 19 avril 2019, le juge des référés du Conseil d’État considère que la nouvelle demande est une demande de réexamen mais compte tenu de la vulnérabilité de la personne, enjoint à l’OFII de lui fournir pour l’avenir les conditions d’accueil.
Après ces décisions, l’OFII ne sait plus comment gérer les choses. La direction des affaires juridiques a donné des consignes pour revenir à l’ancien système (suspension après observations et évaluation de la vulnérabilité) et il a été constaté sa mise en œuvre. Mais des directions territoriales continuent de refuser ou de retirer sur le fondement de la nouvelle loi.
Gestion des retraits et refus des CMA pour les demandeurs d’asile en procédure Dublin :
Suite aux décisions du Conseil d’État du 17 avril dernier, les nouvelles consignes sont :
* Pour les demandeurs d’asile sous procédure Dublin de retour en France après un transfert effectif : le demandeur doit se présenter à la SPADA et prendre un rendez-vous en GUDA. S’il est de nouveau placé en procédure Dublin, l’auditeur OFII lui notifie une décision de refus de plein droit des CMA pour non-respect des exigences des autorités de l’asile. S’il est placé en procédure normale ou accélérée, ou s’il est vulnérable, les CMA sont rétablies.
L’OFII continue donc d’appliquer les dispositions de l’article L. 744-7 sans faire d’offre de prise en charge en considérant que les personnes ne se sont pas présentées à l’autorité du pays responsable. Ce raisonnement transnational n’a pas encore été contesté avec succès en raison.
* Pour les demandeurs d’asile sous procédure Dublin en fuite requalifiés en procédure normale ou accélérée à l’expiration du délai de transfert : Le demandeur doit se présenter directement en préfecture sans passer par la SPADA. L’OFII lui notifie une notification de domiciliation en SPADA. Le rétablissement des CMA n’est pas automatique. Le demandeur doit présenter à l’OFII une demande écrite de rétablissement. Il sera fait droit à la demande en cas de vulnérabilité de la famille et si le non-respect des exigences des autorités de l’asile est justifié
En clair, les critères du Conseil d’État sont interprétés de façon cumulative et restrictive. En outre, l’OFII entend limiter l’accès de ces personnes à la seule domiciliation et elles ne peuvent bénéficier d’une aide pour compléter le formulaire OFPRA qu’elles ont finalement à adresser dans un délai de vingt-et un jours, ni d’aucune autre prestation des SPADA. Dans certains lieux, le droit d’être domicilié leur est même dénié.
La Cimade et dix associations ont saisi le Conseil d’État d’un recours contre le décret du 28 décembre 2018 qui met en œuvre cette disposition et en ont demandé sa suspension au juge des référés. Lors de l’audience du 28 mars 2019, le juge a pointé comme moyen sérieux, le fait que le nouveau dispositif ne prévoit plus la possibilité de demander le rétablissement des conditions d’accueil alors que le droit européen le prévoit. Le ministère a indiqué qu’il suffisait que les personnes fassent valoir leur droits en invoquant directement cette disposition (alors que la France avait l’obligation de la transposer).
Le 8 juillet 2019, les 2e et 7e chambres réunies ont examiné le recours au fond. Le rapporteur public a conclu à l’annulation du décret pour ce qui concerne l’application de l’article L. 744-7 du CESEDA, qu’il a considéré comme non conforme au droit européen. Plutôt qu’une annulation simple, il a proposé une solution innovante ; que le Conseil d’État fixe les modalités transitoires, dans l’attente d’une nouvelle loi, pour que des décisions individuelles de suspension soient prises dans les cas prévus par cet article. La juridiction peut également différer les effets de l’annulation sachant que selon l’OFII 1627 refus ont été pris depuis le début de l’année (ce qui paraît inférieur à la réalité).
Dans sa décision du 31 juillet 2019, le Conseil d’État a suivi les conclusions du rapporteur public en annulant les dispositions du décret du 28 décembre 2018 portant application de l’article L. 744-7 du CESEDA. Pour lui, si l’OFII peut limiter ou retirer le bénéfice des conditions d’accueil pour les motifs énumérés par cet article, il ne peut le faire » qu’après examen de la situation particulière de la personne et être motivé, d’autre part l’intéressé doit pouvoir solliciter le rétablissement des conditions matérielles d’accueil ». Ce que ne prévoit pas l’article L. 744-7 du code.
L’annulation pour non conformité au droit européen vaut aussi pour les dispositions législatives. Les anciennes ne pouvant pas être remises en vigueur et une annulation différée, n’étant pas impérieuse, le Conseil d’État innove en donnant un modus opérandi à l’OFII
Selon le type de décisions, voici un tableau récapitulatif des possibilités
Type de décisions OFII |
Recours administratif |
Demande de rétablissement possible |
motivation |
Recours contentieux |
Décision de suspension prise avant le 1er janvier 2019 (article L. 744-8 CESEDA) |
Recours gracieux ou hiérarchique |
Décision motivée sur vulnérabilité, besoin en matière d’accueil et raison du départ du lieu ou absence convocation |
Référé mesure-utile puis en cas de décision négative référé suspension |
|
Décision de refus ou de de retrait de plein droit prise après le 1er janvier 2019 (article L. 744-7 CESEDA) |
Recours gracieux ou hiérarchique |
Décision motivée sur vulnérabilité, besoin en matière d’accueil et raison du départ du lieu ou absence convocation |
Référé mesure-utile puis en cas de décision négative référé suspension |
|
Décision de refus pour demande tardive |
Recours gracieux ou hiérarchique |
Non |
Pas de motivation obligatoire |
|
Décision de refus pour réexamen |
Recours gracieux ou hiérarchique |
Non |
Pas de motivation obligatoire |
Auteur: Responsable national Asile
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