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Sauvetage en mer, accueil et débarquement

 

1 – Qui est responsable des secours et des sauvetages en mer ?  

En mer, il y a une règle sacrée : l’obligation de secours et de sauvetage en mer des passagers d’une embarcation en difficulté. 

La Convention des Nations Unies sur le droit de la mer (1982) établit l’obligation de prêter assistance, obligation renforcée par la Convention internationale pour la sauvegarde de la vie humaine en mer (1974) et la Convention internationale sur la recherche et le sauvetage maritime (1979). Cette dernière définit le régime de recherche et de sauvetage en mer (Search and Rescue – SAR) qui implique une responsabilité particulière des États côtiers hors de leurs eaux territoriales. Ainsi, aucune zone maritime ne devrait être ignorée ou laissée sans moyen de recherche et de sauvetage en mer. De plus, l’obligation de secourir s‘applique à toute personne se trouvant en situation de détresse en mer, indépendamment de sa nationalité ou de son statut juridique, ou encore des circonstances dans lesquelles elle est retrouvée. 

Mais la volonté des Etats de « protéger » les frontières passe avant la protection de vies humaines.  

La sécurité des embarcations de migrants en mer pas la priorité des dispositifs étatiques de surveillance des frontières. Les opérations menées par Frontex ont pour mandat principal la lutte contre les passeurs et ce que les Etats européens qualifie d’ « immigration irrégulière ». Le sauvetage en mer n’intervient au mieux qu’au second plan, voire est empêché. En Méditerranée, la mission de la Marine italienne Mare Nostrum qui, elle, menait une opération de sauvetage en mer, a cessé fin 2014, faute de financement européen. Un dispositif complexe a depuis été mis en place pour dissuader les secours des embarcations de migrants, incluant un harcèlement administratif des bateaux des associations de secours et de sauvetage en mer afin de les immobiliser à quai, malgré les conséquences sur le nombre de noyades, et tout en encourageant les retours en Libye, principale zone de départ vers Malte et l’Italie. Pour éviter le débarquement sur le territoire européen des migrants secourus lors des opérations de contrôles, les moyens maritimes de surveillance ont progressivement été remplacés par des moyens aériens dans le but de détecter plus tôt les bateaux de migrants en Méditerranée et de faire intervenir les garde-côtes libyens plutôt que les garde-côtes italiens ou maltais1. Dans un rapport publié en septembre 2022, la Commissaire aux droits de l’Homme du Conseil de l’Europe rappelait aux États membres leurs obligations à « assurer la recherche et le sauvetage des migrants en mer ».  

2 – Où les personnes secourues en mer doivent-elles être débarquées? 

Le droit international prévoit le débarquement des personnes secourues en mer dans un lieu sûr (et non le lieu le plus proche) dans les meilleurs délais possibles, donc par déduction dans le port sûr le plus proche. Un lieu sûr, tel que défini en annexe de la Convention international sur la recherche et le sauvetage maritime (Search and Rescue – SAR), est un emplacement où les opérations de sauvetage sont censées prendre fin et un endroit où la vie des survivant.e.s n’est plus menacée et où l’on peut subvenir à leurs besoins fondamentaux (tels que des vivres, un abri et des soins médicaux). De plus, c’est un endroit à partir duquel peut s’organiser le transport des personnes secourues vers leur prochaine destination ou leur destination finale. Le texte précise également qu’ « un navire prêtant assistance ne devrait pas être considéré comme un lieu sûr, du seul fait que les survivant.e.s, une fois qu’ils se trouvent à bord du navire, ne sont plus en danger immédiat. […] Même si le navire a la possibilité de les héberger en toute sécurité et peut faire office de lieu sûr provisoire, on devrait le dégager de cette responsabilité dès que d’autres dispositions peuvent être prises ». Il précise enfin, « la nécessité d’éviter le débarquement dans des territoires où la vie et la liberté des personnes qui affirment avoir des craintes bien fondées de persécution seraient menacées est à prendre en compte dans le cas de demandeurs d’asile et de réfugiés récupérés en mer ». La Commissaire aux droits de l’homme de Conseil de l’Europe insiste sur cette dimension et précise que « même si les personnes secourues ne seront pas soumises à̀ ce genre de traitement à l’endroit où elles sont débarquées, il se peut qu’elles risquent effectivement de subir des mauvais traitements si elles sont ensuite renvoyées dans un autre pays » et que, « pour éviter ce risque, il faut normalement pouvoir demander une protection internationale dans le pays de débarquement et en jouir de manière effective, notamment en accédant rapidement à̀ une procédure de demande d’asile équitable et efficace »2. Parmi les autres aspects liés aux droits de l’homme à prendre en compte, elle ajoute la question de savoir dans quelle mesure les personnes débarquées pourraient être soumises à̀ une privation arbitraire de liberté́, et si elles pourraient être vulnérables à la traite ou à̀ l’exploitation. C’est pour ces raisons que les pays côtiers africains, comme la Libye, ne peuvent pas être considérés comme des lieux sûrs. 

3 – Qui est responsable du débarquement des personnes secourues en mer dans un lieu sûr ? 

C’est l’État responsable de la zone de recherche et de sauvetage (zone Search and Rescue – SAR) qui a la responsabilité de la coordination d’un débarquement en lieu sûr. Cela ne veut pas nécessairement dire que les personnes secourues en mer doivent être débarquées sur son territoire mais à minima « dans un lieu sûr qui relève de son contrôle et dans lequel les personnes secourues pourront ensuite recevoir l’aide requise en temps voulu »3. L’Organisation maritime internationale précise également que « toutes les opérations et procédures, telles que le filtrage et l’évaluation du statut des personnes secourues, qui vont au-delà de l’assistance fournie aux personnes en détresse, ne devraient pas gêner la prestation d’assistance ou retarder indûment le débarquement des survivants qui sont à bord du ou des navires prêtant assistance ». Les décisions prises par Malte et l’Italie, au printemps 2020, de maintenir des personnes qui avaient été secourues dans leurs zones de recherche et de sauvetage sur des bateaux privés en attendant que d’autres Etats européens acceptent de les accueillir, sont en contradiction avec ce principe.  

De leurs côtés, les capitaines de navire, au-delà de l’obligation de porter secours en mer aux passagers.e.s d’un bateau en difficulté, sont face à une double obligation : celle de veiller à ce que les survivant.e.s soient débarqué·e·s en lieu sûr4 d’une part et de se conformer aux directives données par l’Etat qui coordonne les secours en mer d’autres part5. Dans son rapport, la commissaire au droit de l’homme du Conseil de l’Europe souligne le potentiel dilemme auquel peuvent faire face les capitaines de bateaux lorsque l’Etat responsable ordonne un débarquement en Libye par exemple. Doivent-ils suivre les consignes qu’ils ont reçues en mettant ainsi en danger les personnes qu’ils ont secourues, ou faire fi des consignes qu’ils ont reçues, refuser de débarquer des migrants en Libye et en subir les conséquences ? Elle précise alors que « si la coordination des opérations de sauvetage, y compris des débarquements, relève principalement de la responsabilité des centres de coordination de secours en mer de l’Etat responsable, les capitaines de bateaux jouent cependant un rôle crucial dans la prise de décisions », un capitaine demeure « libre de prendre toute décision qu’il estime nécessaire, sur la base de son jugement professionnel, pour garantir la sûreté en mer ». 

4 – La France doit-elle ouvrir ses ports aux bateaux des associations de secours des migrants en mer ? 

A plusieurs reprises ces dernières années, des Etats européens de la frontière maritime sud de l’Europe ont refusé d’ouvrir leurs ports pour débarquer les personnes secourues en Méditerranée. Ce fut notamment le cas en juin 2018 où, après avoir été bloqué en mer plus d’une semaine et face au refus de l’Italie et Malte d’ouvrir leur port (pourtant situés à 65km !), la bateau de secours de migrants Aquarius a dû parcourir-plus de 1500 kilomètres pour enfin débarquer en Espagne, avec 629 personnes secourues en état de grande vulnérabilité (voir l’article publié par La Cimade ici).  Loin d’être un cas isolé, des évènements similaires se sont succédés depuis l’été 2018 jusqu’à ce jour. En plein cœur de la crise sanitaire Covid19, les  autorités italiennes et maltaises ont décidé successivement les 7 et 9 avril de fermer leurs ports (voir l’article publié par La Cimade ici).  C’est ce qui s’est produit une énième fois en octobre 2022, pour le débarquement de l’Ocean Viking, qui a lancé un appel à l’aide désespéré à la France, la Grèce et l’Espagne. 

Face à l’impossibilité de débarquer les personnes secourues dans les ports sûrs les plus proches et face à l’urgence humanitaire que représentent ces situations, la France doit-elle ouvrir ses ports ? La réponse n’est pas simple car il s’agit avant tout de trouver la solution la plus sûre et protectrice, tant pour les personnes secourues que pour l’équipage du bateau qui a effectué l’opération de sauvetage. En juin 2018, un bateau d’une association de secours et de sauvetage en mer avait par exemple refusé de débarquer à Barcelone car la distance à parcourir était trop importante et impliquait de naviguer sur une mer agitée, une option susceptible de mettre encore davantage les personnes secourues en danger.   

Du point de vue de La Cimade, l’application du droit international maritime est non négociable et demeure donc la première solution à apporter aux dangereuses traversées maritimes entreprises pour atteindre les côtes européennes. Toutefois, lorsque le débarquement dans le port sûr le plus proche est rendu de facto impossible par les Etats côtiers concernés, en violation du droit, le débarquement dans un autre port sûr doit être envisagé, en évaluant l’ensemble des implications, en particulier l’intégrité physique et mentale des personnes à bord ainsi que le respect de leurs droits fondamentaux. Il est toutefois nécessaire de continuer à demander l’application du droit international maritime et donc le débarquement dans le lieu sûr le plus proche afin que le débarquement des survivant·e·s ne soit pas à terme conditionné au bon vouloir et à la capacité d’accueil des pays concernés, mais au respect du droit maritime.  

5 – Quels mécanismes d’accueil au niveau européen ? 

Depuis de nombreuses années, l’Union européenne échoue à s’accorder sur un mécanisme de solidarité en matière d’accueil des personnes secourues en mer aux frontières maritimes de l’UE.  

A travers le règlement Dublin, machine infernale de l’asile européen, elle attribue la responsabilité de l’examen de la demande d’asile à l’État où la personne est entrée ou y a déposé une demande. Le nouveau règlement relatif à la gestion de l’asile et de la migration proposé dans le cadre de nouveau pacte européen sur les migrations et l’asile, loin d’être une abrogation de ce système conserve et accentue même dans les faits le principe de pays de première entrée considéré comme le pays responsable de l’examen des demandes d’asile. Depuis vingt-cinq ans, ce système interdit aux demandeurs d’asile le choix de leur pays d’accueil, niant l’importance de facteurs tels que les liens sociaux et amicaux ou la maîtrise de la langue pour s’intégrer dans la société d’accueil et place la gestion de la protection internationale sur les pays situés à la frontière extérieure de l’UE.  

A travers l’approche « hotspots » développée depuis 2015, l’Union européenne a multiplié les camps d’enfermement et de tri sans jamais parvenir à coordonner l’accueil des personnes bloquées aux frontières au sein de l’UE. Ces centres sont devenus des lieux de violence psychologique où les droits fondamentaux des exilé·e·s sont systématiquement bafoués (voir les différentes actualités de La Cimade ici et ici). Présentés pourtant comme « l’expression d’une véritable solidarité européenne », les « hotspots » devaient, en théorie, permettre de répartir dans les Etats membres certaines des personnes arrivées en Italie et en Grèce, et reconnues comme pouvant être accueillies du fait de leur besoin de protection. C’est sur la base du « volontariat » que 23 Etats européens s’étaient engagés en 2015 à accueillir, sur deux ans, un total de 160 000 potentiel.le.s réfugié.e.s, une proportion dérisoire au vu du nombre de personnes déjà présentes à l’époque en Grèce et en Italie. A son terme en septembre 2017, le mécanisme de relocalisation n’avait bénéficié qu’à 25 000 personnes. Depuis, les différentes tentatives de mécanismes de solidarité européenne, toujours « temporaires » et basées sur le « volontariat », se sont systématiquement heurtées au manque de volonté des Etats européens. Le dernier en date, adopté en juin 2022 sous la présidence française de l’UE, n’est non seulement pas respecté par les pays mais très en-deçà des besoins et d’une véritable politique d’accueil respectueuse de la dignité des personnes et de leurs droits fondamentaux. Pire encore, en représailles du refus du gouvernement italien d’ouvrir son port à l’Ocean Viking,  la France a annoncé le 10 novembre 2022 qu’elle renonçait finalement à ses engagements (la relocalisation de 3 500 personnes depuis l’Italie). Enfin, le nouveau règlement relatif à la gestion de l’asile et de la migration proposé dans le cadre de nouveau pacte européen sur les migrations et l’asile, prévoie quant à lui de détourner le concept de solidarité en mettant sur un pied d’égalité les efforts des Etats membres en matière de relocalisation, d’expulsion et d’externalisation. Considérant l’échec des mécanismes de relocalisation jusqu’alors, il est à prévoir que peu d’États feront le choix de l’accueil. La solidarité envers les personnes exilées est complètement occultée.  

La Cimade appelle l’UE et ses Etats membres à accueillir toute personne en danger aux frontières afin d’examiner avec attention et impartialité chaque situation et d’assurer le respect des droits de toutes et tous. Il est temps que les institutions européennes et les Etats membres élaborent une politique d’asile à la hauteur des enjeux, basée sur les choix des personnes concernées, sur la solidarité entre Etats et le respect inconditionnel des droits fondamentaux, en harmonisant par le haut les procédures et les conditions d’accueil des demandeurs et demandeuses d’asile en Europe. 

6 – Quel cadre légal de la zone d’attente temporaire créée à Hyères pour les personnes migrantes secourues en mer par le bateau de secours de migrants Ocean Viking en novembre 2022 ?  

Lorsqu’une personne n’a pas les documents nécessaires pour entrer sur le territoire ou demande asile, dans un port, aéroport ou gare internationale, la police aux frontières peut (ce n’est qu’une faculté) décider de la maintenir dans une zone d’attente le temps nécessaire à son réacheminement ou de l’examen de sa demande d’asile à la frontière. Cette privation de liberté dure quatre jours sur simple décision administrative prolongée de huit jours, renouvelable une fois et exceptionnellement par un juge. 

La zone d’attente qui a été créée à Hyères (Var) pour les personnes secourues en mer par le bateau de l’association SOS Méditerranée est dite temporaire parce que le préfet a considéré qu’il s’agissait d’une arrivée importante de personnes qui nécessitait la création d’une nouvelle zone d’attente. Or si la loi permet une telle création, c’est à condition que les personnes soient découvertes à la proximité immédiate d’un point de passage frontalier et non comme c’est le cas pour le bateau de secours de migrants de l’association SOS Méditerranée, orientées par le Gouvernement vers un port militaire. La légalité de la création a été contestée par les associations devant le Conseil d’Etat qui a rejeté leur demande de mettre fin à la zone d’attente dans laquelle avait été placée les passagers de l’Ocean Viking.  

7 – Quel traitement des personnes secourues par le bateau de sauvetage en Méditerranée et débarquées en Toulon en novembre 2022 ? 

La totalité des personnes secourues ont demandé l’asile à leur arrivée et ont fait l’objet d’une procédure d’exception : la procédure d’asile à la frontière. Elle n’est pas un examen complet de la demande d’asile qui est effectué pour savoir si la personne doit être reconnue réfugiée ou se voir octroyée une protection subsidiaire. Le ministère de l’intérieur ne peut refuser l’entrée que si la demande relève d’un autre Etat européen (dans le cadre du règlement Dublin), si elle est manifestement infondée (dépourvue manifestement de pertinence ou de crédibilité) ou irrecevable (si la personne bénéficie du statut de réfugiée dans un autre Etat où elle peut en bénéficier pleinement). La personne est auditionnée par l’OFPRA qui émet un avis favorable ou défavorable. C’est seulement dans ce dernier cas (avis défavorable de l’OFPRA) que le ministère peut prendre un refus d’admission sur le territoire au titre de l’asile (RATATA). 

Sur 234 personnes présentes sur le navire, 44 étaient des mineurs non accompagnés qui ont été confiés rapidement à l’aide sociale à l’enfance pour être mis à l’abri, 74 ont fait l’objet d’un RATATA qui peut être contesté dans un délai de quarante-huit heures à condition que le compte rendu de l’audition leur soit remis dans des conditions sécurisées, ce qui n’est pas le cas. Les personnes qui ont été admises sur le territoire ont été orientées vers des centres d’accueil où elles pourront demander asile en France ou être transférées vers des Etats qui ont proposé de les accueillir (11 pays dont la Bulgarie et Malte qui enferment les demandeurs d’asile).  

 

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